Maîtriser la longueur de son récit
Écrire un livre, c’est un peu comme préparer un gâteau : il faut une bonne recette, les bons ingrédients et, surtout, en bonne quantité pour que tout s’équilibre harmonieusement.
Tu es en pleine rédaction de ton roman ou tu viens de le terminer, mais es-tu certain(e) qu’il s’agit bien d’un roman ? La question peut paraître bizarre, mais nous ne parlons pas ici du « roman » au sens littéral, à savoir une « histoire », mais bien au sens éditorial. Tu dois déjà savoir qu’il existe plusieurs termes que nous, éditeurs, utilisons pour nommer un livre, et celui-ci est défini en fonction de la longueur du récit.
Combien de pages doit contenir mon livre ? Combien de mots ? Dans quelle catégorie se range mon récit ? À quoi correspondent ses « signes » que demandent les éditeurs dans leurs soumissions de manuscrit ? Nous allons essayer de répondre à ces questions pour qu’elle ne soit plus une prise de tête pour toi !
« Ce n’est pas la taille qui compte »
La fameuse maxime qu’on aime tous entendre, surtout lorsqu’il s’agit de flatter notre égo. Hélas, cette petite vérité n’est pas toujours d’actualité et cela vaut pour le monde de l’édition. Pourquoi ? Eh bien, crois-le ou non, les éditeurs partagent une passion pour ranger les choses dans des cases.
Prenons l’exemple de Raven Éditions (les meilleurs, en toute modestie). Comme cela est indiqué dans notre rubrique « Soumission de manuscrit », nous ne publions que des romans (pavés inclus). Tu as bien lu, des romans et rien que des romans. Les nouvelles et les recueils ? Ce n’est pas notre créneau. Alors, si tu sais que ton manuscrit ne correspond pas à cette catégorie, il ne servirait à rien que tu nous le soumettes : aussi merveilleux qu’il puisse être, il finirait rejeté. Une perte de temps pour toi comme pour nous.
Connaître la taille de ton récit, et donc la catégorie de ton récit, est cruciale. Cela ne se limite pas à une question de convenance éditoriale, mais aussi de stratégie. Cela te permettra de mieux choisir les éditeurs qui pourraient se révéler intéressés par ton travail.
De même, dans le cas où tu envisagerais l’autoédition, cette connaissance t’aidera à cerner ton public-cible. En effet, les amateurs de nouvelles n’ont pas les mêmes attentes que ceux qui dévorent un pavé de 600 pages en quelques heures. Chaque format attire des lecteurs différents avec des préférences spécifiques en matière de longueur et de contenu.
En somme, t’intéresser à la taille de ton récit, c’est t’assurer qu’il trouvera son chemin vers les bonnes mains et les bons lecteurs !
Oublie les pages !
On connaît tous cette douce satisfaction de voir son manuscrit s’épaissir au fil des jours. « Aujourd’hui, j’ai écrit 10 pages ! » ou « Waouh, mon manuscrit fait déjà 210 pages ! ». C’est un plaisir auquel tout auteur succombe à un moment ou à un autre. En plus, quand on achète un livre en librairie ou en ligne, on jette souvent un œil au nombre de pages. Cela nous aide à relativiser le prix ou, au contraire, nous dissuade de l’acheter. Mais, dans le monde de l’édition, compter les pages revient à essayer de mesurer une distance en pieds quand tout le monde utilise des mètres.
Pourquoi, me diras-tu ? Parce que la mise en pages d’un livre, réalisée à l’aide d’un logiciel professionnel, peut varier suivant plusieurs critères dont les principaux sont :
- Le format (poche ou grand format, tankōbon ou format deluxe, etc.),
- La taille de police d’écriture,
- Les marges,
- L’interlignage et l’interlettrage.
Tous ces paramètres rendent le nombre de pages d’un manuscrit complètement arbitraire.
T’est-il déjà arrivé d’acheter un roman annoncé avec plus de 300 pages et, en l’ouvrant, de découvrir que la police est énorme ? Une astuce d’éditeur pour faire paraître un livre plus long qu’il ne l’est vraiment et donc de le vendre plus cher. Pour certaines grosses ME, il s’agit aussi d’une stratégie pour dominer le marché. En « gonflant » le livre sans en augmenter le prix, les lecteurs s’habituent à des livres épais peu chers. Une concurrence que l’on pourrait qualifiée de déloyale pour les petits éditeurs indépendants qui ne peuvent s’aligner sur ces tarifs. Et quand je dis « petits éditeurs », n’y voit rien de péjoratif. Nous-mêmes sommes une « petite » maison d’édition.
En revanche, le nombre de mots est, lui, universel. Que tu écrives en Arial taille 20 ou en Times New Roman taille 12, 50 000 mots resteront 50 000 mots.
Mais alors, à quoi correspondent ces « signes » ou « sec » (signes espaces comprises) dont parlent les éditeurs ?
Prenons la phrase « A est la première lettre du mot « anticonstitutionnellement » ». Elle est composée de 8 mots dont « A », en une seule lettre, et « anticonstitutionnellement » en 25. Tu te doutes bien que « A » prendra moins de place dans le texte que « anticonstitutionnellement » et pourtant, les deux possèdent la même « valeur » si l’on compte en mots, à savoir « 1 ». Ainsi, un récit peut très bien être majoritairement composé de mots courts comme longs, une information que le nombre de mots ne permet pas de connaître.
C’est ici que le nombre de signes entre en jeu. Il est bien plus précis, car il prend en compte les caractères (lettres, ponctuation) ainsi que les blancs qui les séparent, appelés « espaces ».
À noter : En typographie, le mot « espace » est féminin. On dira « une espace » et non « un espace ».
Quelques correspondances
Si tu tapes ton texte sur Word, par exemple, en bas à gauche est indiqué le nombre de mots et si tu cliques dessus, tu obtiendras plus de précisions telles que le nombre de signes avec ou sans espaces. Prenons cet article comme exemple : à l’instant T, j’en suis exactement à 1 008 mots, ce qui correspond à 5 671 signes espaces comprises et 2 pages A4. Mais, que faire si tu n’as pas toutes ces informations sous la main ?
Voici donc quelques petites astuces pour pouvoir les calculer toi-même.
1. Nombre de signes / Nombre de mots
En français, un mot compte en moyenne 5 lettres et est suivi d’une espace ou d’un signe de ponctuation. On estime donc le rapport moyen entre le nombre de mots et de signes à 6.
Si ton texte fait 250 mots, alors il fait environ 1 500 signes espaces comprises.
Si ton texte fait 300 000 signes, alors il fait environ 50 000 mots.
Bien sûr, il s’agit d’une estimation.
Si l’on reprend l’exemple de notre article, 1 008 mots x 6 = 6 048 signes et non pas 5 671.
Pour cet article, notre rapport est de 5,6 ce qui reste toute de même assez proche de l’estimation. Si jamais tu connais le nombre précis de mots et de signes et que tu veux connaître le tien, il te suffit de faire le calcul suivant :
2. Nombre de pages
Pour estimer le nombre de pages de ton manuscrit une fois la mise en pages terminée, tu peux partir sur une base située entre 1 500 et 2 000 signes pour une page de roman standard, soit de 250 à 300 mots.
Note que ces valeurs sont des moyennes et peuvent varier en fonction de la taille de tes marges, de ta police d’écriture, etc.
Mais comment savoir si tu dois partir sur une base de 1 500 signes / 250 mots ou de 2 000 signes / 300 mots ? Cela dépend de ton texte.
Si ton récit est majoritairement composé de gros paragraphes descriptifs, opte pour la fourchette haute : 2 000 signes ou 300 mots par page.
À l’inverse, si ton récrit est majoritairement composé de dialogues, avec des retours à la ligne fréquents, choisit la fourchette basse : 1 500 signes ou 250 mots. Ton texte étant plus aéré, les pages comporteront forcément moins de mots.
Même si connaître le nombre de pages n’est pas pertinent pour les éditeurs à la soumission du manuscrit, cela reste essentiel au moment de calculer le prix de vente de ton livre. En effet, plus un livre a de pages, plus il coûte cher à imprimer. S’il est volumineux, tu as deux options : augmenter le prix de vente ou diviser ton livre en plusieurs tomes plus petits. C’est à toi de décider ce qui est le mieux en fonction de ton public-cible, de la cohérence de ton histoire et, soyons honnêtes, de ton budget.
Les différentes catégories et leur longueur
Plutôt qu’un long pavé, je me suis dit qu’un tableau récapitulatif serait plus lisible.
Catégorie | Nbr de mots | Nbr de signes (espaces comprises) | Nbr de pages |
Nouvelle | 1 000 – 7 500 | 5 000 – 45 000 | 4 – 30 |
Novelette | 7 500 – 17 500 | 45 000 – 105 000 | 30 – 70 |
Novella | 17 500 – 40 000 | 105 000 – 240 000 | 70 – 160 |
Roman court | 40 000 – 50 000 | 240 000 – 300 000 | 160 – 200 |
Roman | 50 000 – 110 000 | 300 000 – 660 000 | 200 – 440 |
Pavé | > 110 000 | > 660 000 | > 440 |
Bien sûr, les chiffres que je te donne dans ce tableau ne sont pas une norme, mais plutôt un repère pour t’aider à situer ton récit. Chaque éditeur a sa propre vision d’une catégorie.
Chez Raven, par exemple, nous considérons qu’en dessous de 500 pages, il ne s’agit pas d’un pavé mais d’un roman.
Les différents genres et leur longueur
Genre | Nbr de mots | Nbr de signes (espaces comprises) | Nbr de pages |
Fantasy | > 90 000 | > 540 000 | > 360 |
Romance | 50 000 – 90 000 | 300 000 – 540 000 | 200 – 360 |
Science-Fiction | 70 000 – 120 000 | 420 000 – 720 000 | 280 – 480 |
Thriller/Policier | 70 000 – 90 000 | 420 000 – 540 000 | 280 – 360 |
Attention concernant la longueur du texte en fonction de son genre littéraire. Ces données ne sont que des moyennes et n’existent qu’à titre indicatif. Tu ne dois en aucun cas t’y cantonner. Pour la Fantasy, par exemple, on estime qu’il faut au minimum 90 000 mots pour bien développer son intrigue ainsi que tout l’univers autour. Il existe cependant des titres de Fantasy plus courts et très bien écrits : tout dépend de la plume de l’auteur et de sa capacité à nous transporter dans son monde.
Tu remarqueras aussi que le Fantastique manque dans ce tableau. Il ne s’agit pas d’un oubli. Le Fantastique est un genre à part qui peut tout aussi bien exister sous la forme d’un récit d’une dizaine de pages que de plusieurs centaines : ce qui importe le plus, c’est son ambiance et le doute que l’on crée chez le lecteur.
Conclusion
Comme je te l’ai dit tout au long de cet article, connaître le nombre de signes, de mots ou même de pages est crucial pour soumettre ton manuscrit aux bonnes maisons d’édition ou déterminer un prix de vente cohérent pour le livre. Ces chiffres sont comme des panneaux de signalisation qui te guident dans le dédale du monde littéraire.
Mais, attention ! Aussi utiles soient-ils, ils ne doivent jamais devenir une prison pour ton écriture. Modifier ton récit uniquement pour entrer dans une case prédéfinie est une fausse bonne idée et, crois-moi, les lecteurs le ressentiront. Si ton histoire a besoin de plus de pages pour se déployer pleinement, alors laisse-la respirer. De même, si elle est complète en moins de mots, ne cède pas à la tentation de la rallonger artificiellement.
Tu envisages d’écrire une série ? Certains te diront sans doute qu’il est important que chaque tome soit de taille similaire. Là encore, je ne partage pas cette pensée.
Prenons l’exemple de notre duologie Apokalupsis. Le premier tome fait 424 pages et le dernier 772. Une sacrée différence, n’est-ce pas ? Pourtant, il ne nous est jamais venu à l’esprit de demander à l’auteur de couper son récit pour que le second tome soit plus court. L’histoire avait besoin de cet espace pour pouvoir dénouer tous les fils narratifs et être appréciée dans son ensemble.
Bien sûr, nous aurions pu, comme suggéré plus haut, diviser ce tome en deux tomes moins volumineux. Toutefois, l’histoire ne s’y prêtait pas. De plus, nous refusions de forcer les lecteurs à devoir acheter deux livres pour avoir l’enquête complète…
En fin de compte, c’est toi, l’auteur, qui connaît le mieux ton récit. C’est donc à toi de défendre ton histoire auprès de l’éditeur si nécessaire. Mais, surtout, n’enferme jamais ton écriture dans des contraintes arbitraires. Laisse-la s’exprimer pleinement, car ce n’est qu’ainsi que ton œuvre brillera vraiment.